Pour une gastronomie durable : Hugo Roellinger
Pour accompagner les chefs dans leur démarche durable, le Guide MICHELIN a créé l'Étoile Verte. Aujourd'hui, nous donnons la parole à Hugo Roellinger, chef du Coquillage (Cancale), qui a obtenu la distinction en 2020.
Hugo Roellinger n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, l’Étoile Verte est une belle idée, qui valorise le travail et les convictions d’un certain nombre de chefs, mais il ajoute : "Tous les restaurants étoilés devraient l’avoir. Si tel n’est pas le cas, c’est que tous ne sont pas encore éthiquement responsables." Il insiste sur le "encore" et admet qu’une idée de récompense comme cette nouvelle distinction a le mérite d’éveiller les consciences. "Un chef qui ne l’a pas doit se poser des questions sur ce qu’il n’a pas encore mis en place pour l’obtenir." Comme il le souligne, il est issu d’une génération qui vit avec un discours alarmiste autour du climat, de l’écologie, de l’état de la planète, mais il ajoute que quel que soit l’âge, quelles que soient les récompenses, les honneurs, les chefs ont le devoir de nourrir bien : "Chaque jour, nous devons faire bon pour les papilles, bon pour le corps, bon pour la planète." Sauf qu’à ses yeux, le combat doit être élargi. La gastronomie durable, la cuisine écoresponsable, ce n’est pas seulement dans l’assiette, dans le sourcing, dans le recyclage et dans la défense de convictions, c’est aussi dans l’humain.
Pour Hugo, l’humain est la clé de voûte de cet engagement durable. "Défendre un producteur local en s’engageant à lui acheter sa production, c’est un bon début mais si vous ne mettez pas d’humain dedans, si vous n’allez pas à sa rencontre de temps à autre, si vous ne lui passez pas un coup de fil pour savoir comment il va, c’est oublier que la durabilité, elle passe par le contact." Et Hugo d’ajouter : "La durabilité ou être éthiquement responsable, c’est aussi le relationnel avec nos équipes." À ses yeux le chef de 2021 doit prendre soin de son personnel, il faut qu’à tous les niveaux, les salariés soient heureux de venir travailler. Trop longtemps, le métier a été diabolisé et le secteur en pâtit encore aujourd’hui. Et Hugo de conclure : "Un personnel heureux, détendu mais professionnel, c’est une équipe qui avance dans la même direction et ce sont des clients qui ressortent de nos établissements avec l’énergie qu’on a réussi à leur faire passer."
À la fin du premier confinement en juin 2020, il a beaucoup été question de la mise en place d’un monde d’après avec plus de bio, plus de locavorisme, plus de défense des producteurs. Dix mois plus tard, y croyez-vous encore ?
Je suis globalement optimiste donc j’ai envie d’y croire. Ce qui est certain, c’est qu’une fois le pays sorti de cette crise sanitaire, je pense que nous allons assister à une délivrance accompagnée de joie et de sourires que ce soit au travail, dans les loisirs, dans la restauration. Ce mouvement de joie sera, je pense, celui de la jeunesse. C’est à elle de construire le monde d’après mais attention, elle a des devoirs dont celui de ne pas créer de scission dans la société. Que cette jeunesse ait envie de plus de durabilité, plus de bio, plus de local, je le conçois mais sans culpabiliser l’autre, celui qui n’affiche pas les mêmes convictions. Elle doit porter un message, nouveau, mais sans juger. Par le nombre, cette jeunesse finira par imposer sa vision de la société comme l’ont fait d’autres générations avant elle.
Toujours dans ce monde d’après, quels devraient être les engagements de vos confrères pour d’avantage s’impliquer dans une gastronomie durable ?
Je n’ai aucun conseil à donner mais ce qui est à mes yeux prioritaire en restauration, c’est de construire et de défendre une cuisine identitaire, une cuisine de territoire, à ne pas confondre avec terroir. Qu’un confrère me dise qu’il travaille les produits de saison et les produits locaux, me paraît aujourd’hui être la norme. Il n’y a aucune fierté à en tirer. En revanche, il faut accentuer le sourcing local. La cuisine identitaire fait la part belle aux femmes et aux hommes qui, par leur production, leur culture, leur élevage façonnent un territoire dans lequel le chef est ancré. Ce sourcing, il est accessible à tous. Il faut fouiner, chercher et on finit toujours par trouver pour ne cuisiner que ce que l’on a sous les yeux.
On sait votre père, Olivier, très impliqué dans les problématiques écologiques et durables. Avez-vous toujours pensé comme lui ou est-ce dû à une prise de conscience à votre arrivée au restaurant ?
C’est inné chez nous. Ma sœur comme moi, avons été éduqués ainsi. Ses convictions, il les a portées, c’est son ADN et c’est donc devenu le mien. J’ai appris cependant à me tempérer parce que j’étais peut-être un peu extrémiste, trop alarmiste. Je voulais soulever des montagnes, aller plus loin mais sa sagesse, son discours m’ont permis de comprendre qu’il fallait aller à un rythme bien particulier. J’ai eu envie d’envoyer valdinguer ses principes et faire plus encore mais il a eu raison d’attirer mon attention sur le fait qu’une gastronomie durable est un travail de longue haleine. Il faut tenir compte des clients, de leurs attentes, celle aussi des fournisseurs, des producteurs qui ont besoin de temps. Taper du poing sur la table pour que les choses avancent, c’est bien mais si les personnes autour de vous ne sont pas prêtes, c’est un coup d’épée dans l’eau. J’ai appris plein de choses avec mon père, dont la patience.
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©Anne Claire Héraud