Ras el Hanout Entretien avec Fatéma Hal

Fatéma Hal est écrivain, anthropologue et cuisinière. Elle a écrit de nombreux livres sur la cuisine traditionnelle au Maroc et sur la cuisine du lien ; le dernier est un roman « Le discours amoureux des épices » (2018).


Il y a 10 ans, Olivier Roellinger a demandé à Fatémal Hal de travailler avec lui sur le Ras el Hanout. Le résultat de cette collaboration est un Ras el Hanout composé de 28 épices que nous torréfions, étuvons et broyons dans notre laboratoire à Cancale selon la recette de Fatéma Hal. 

Dans cet interview avec Mathilde Roellinger, Fatémal Hal raconte son histoire avec cette composition d’épices sophistiquée et comment elle le cuisine.


Mathilde : Si vous étiez une épice…

Fatéma : Je serais le macis.

Parce que le macis ne se mélange pas sans cette exigence d’être utile avec les autres. Le macis, on ne peut pas le mettre avec n’importe quelle épice, n’importe quel légume. Il sera oublié, mais en même temps comme il est discret, il accepte d’être oublié ou même écrasé si on ne respecte pas sa personnalité. 

Ce que je ne suis pas, je ne suis pas quelqu’un qui se laisse écraser mais je suis quelqu’un qui préfère être utile. 

Le macis, c’est vraiment très exigeant. 


M : Si vous étiez un arbre…

 

F : Un olivier, c’est banal, mais quelle merveille cet arbre. Déjà en prononçant « olivier », j’ai la chair de poule, c’est la Méditerranée, c’est ma vie, l’olivier. 


M : Si vous étiez une planète ou une étoile… 

F : Je crois que je serais Terre. Je ne connais pas les autres planètes et j’aime la Terre.


M : Si vous étiez un parfum… 

F : L’ambre, qui est aussi pour moi une épice ! Cela fait partie des trésors de ma cuisine. 


M : Un dîner parfait …. 

F : Avec une femme du Sahara parce que c’est une cuisine qui me fascine et qui me fait rêver. Elle n’est pas connue. Je rêve d’être sur ces dunes de sable avec une femme du Sahara ; justement loin des stars, loin des gens connus. On se raconterait nos vies.    


M : Un premier souvenir avec le Ras el Hanout… 

F : Ah, c’était un choc. C’était la première naissance à laquelle j’ai assistée, en tant qu’enfant conscient. A la naissance, on faisait le bouillon de l’accouchée avec le Ras el Hanout. C’était magique, c’est juste un bouillon avec un pigeonneau et le Ras el Hanout. La maison était alors transformée en un parfum extraordinaire. 


M : Quelle est l’histoire du Ras el Hanout ?  

F : Nous ne pouvons pas dater l’existence du Ras el Hanout et c’est bien de ne pas tout savoir. Cela fait partie des recherches qu’il faut continuer à faire. 

Toujours est-il que cela a commencé avec la route des épices.  

Le Ras el Hanout fonctionne exactement comme un parfum. J’utilise toujours le mot « parfum » dans les épices parce qu’en Arabe littéraire, le terme عطر ‘attra Ottor’, désigne les épices et le parfum. 

Il est certain que des femmes ont eu envie de rassembler des parfums qui s’assemblent entre eux. La recette a évolué sur des siècles parce que la route des épices c’est le résultat de plusieurs siècles pour atteindre cette perfection. 

Le Ras el Hanout est une composition très prestigieuse, et elle est surtout très savante. Il fallait donc beaucoup de travail pour arriver à avoir une composition qui parfume avec justesse et qui s’adapte à des plats aussi prestigieux. Autrefois, on ne pouvait pas utiliser le Ras el Hanout tout le temps car les épices étaient vraiment très chères. On le gardait uniquement pour quelques plats. Ce qui n’est plus le cas maintenant. Les épices ne coûtent plus aussi cher, elles se sont démocratisées. 

Cela nous permet d’utiliser le Ras el Hanout beaucoup plus facilement ; il suffit de savoir comment le doser, parce que tout est une question de dosage. 


M : Est-ce que chaque famille a son Ras el Hanout ? 

F : La plupart du temps, ce n’était pas les familles qui composaient les Ras el Hanout, c’était plutôt quelques épiciers savants. Il y avait, comme partout, les menteurs et les sérieux. En fait, il y a ceux qui faisaient des mélanges et ceux qui faisaient des compositions. C’est l’un des derniers épiciers, qui m’a confié son secret, connu grâce à ma mère bien sûr. Je parle souvent de ma mère car c’est elle qui allait chez lui, Benchakroun, à Fez. Il y avait bien évidemment des Ras el Hanout à Oujda, dans ma ville natale mais elle savait pertinemment que le meilleur était à Fez. 

Je vous raconte une petite histoire : la pauvre, je lui demandais d’aller là-bas, de l’acheter entier et de le moudre, de le tamiser puis de me l’envoyer. Elle commençait à vieillir et un jour que j’allais la voir, elle me dit : « assieds-toi et dis-moi : la plupart des gens qui habitent à Oujda l’achètent à Oujda et toi tu veux toujours celui qu’on achetait à Fez. Est-ce que les français font la différence entre le Ras el Hanout de Oujda et celui de Fez ? ». Je lui réponds : « Maman, les français ne font pas la différence mais moi je la fais cette différence ». Elle m’a regardé avec un grand sourire, ce sourire que je garde en tête toute ma vie, pour dire que si elle a réussi quelque chose c’est de me donner cette conscience de ne pas tricher. Avec le Ras el Hanout, on ne triche pas. 

M : Le côté savant tient du fait que la composition est sophistiquée car elle rassemble une trentaine d’épices ? 

F : L’épicier savait de Fez mettait 28 épices. Moi j’ai rectifié sa recette en tout cas en enlevant la cantharide Avec la science, il s’est avéré que cette cantharide qu’on a dit aphrodisiaque, était plutôt toxique. 


M : Quand vous êtes à la maison, que vous recevez votre famille ou vos amis, quelle est la recette que vous aimez faire, soit en hiver soit en été ? 

F : J’ai découvert que le Ras el Hanout se marie très bien avec les desserts. L’été quand c’est la saison des figues fraîches, je les fais rôtir dans du beurre clarifié en les parfumant au Ras el Hanout, et je mets à la fin des amandes et du miel. Les figues sont roussies, miellées et parfumées au Ras el Hanout : c’est juste sublime ! 

Le mélange miel et Ras el hanout, c’est déjà un mariage absolument parfait ; le mélange beurre clarifié, miel, Ras el Hanout et figue, c’est une damnation !  

L’hiver, j’utilise les figues séchées que je réhydrate avec de l’eau et de l’eau de fleur d’oranger. Et après, je les fais rôtir de la même façon dans du beurre clarifié, du miel, du Ras el Hanout et des amandes. On peut les rajouter sur du gibier, du poulet rôti ; on peut les utiliser sur un tajine d’agneau. On peut faire ce qu’on veut avec ces figues séchées. Donc là ça devient un plat.  

En hiver, j’utilise le Ras el Hanout dans du chocolat chaud et bien sûr dans la fameuse Mourouzia. En fait, il s’intègre à tout, à condition d’avoir le bon Ras el Hanout. Le Ras el Hanout qui est bien dosé et bien équilibré dans sa composition, ne gâche pas le produit ; il le magnifie. 

M : En termes de dosage, avez-vous quelques astuces ? 

F : Les femmes simples avec qui j’ai appris à cuisiner et qui n’ont pas été à l’école, elles disent : « la balance est dans mes yeux ». Et donc si « la balance est dans mes yeux », cela signifie que j’ai des yeux, un cerveau, des mains. Si on aime, on commence par un peu, puis on sent le parfum. Après, on goûte, et on rajoute. Mais si on veut tout de suite doser trop fort, ce n’est pas de la cuisine. 


Crédit photo: Epices Roellinger